Laurence Vielle, ‘Zonder-sans’

Op de openingsavond van Felix Poetry Festival 2014 bracht de Brusselse dichteres Laurence Vielle haar ‘Lettre aux Flamands (Belgique)’

« ZONDER-SANS »

ALORS  alors  
il y a à Bruxelles  
la journée sans voitures
et la ville la ville respire, respire,  
Ah ça se sent ça oui
que les routes ont perdu leurs voitures
Ça marche dans les rues
ça roule à bicyclettes
ça fleurit les poumons
Et je propose aussi  
je propose au roi aux ministres aux flamands aux francophones aux
multiphones aux enfants aux vieillards aux braillards aux plantes et
aux animaux,  
aux poussières aux brindilles aux étoiles à tout le monde  
je propose oh oui pour commencer  
je propose une journée sans paroles
Tu sais c’est une journée extraordinaire
on se serre les mains on s’accole les épaules
on s’envoie de la lumière avec les pupilles
on invente une langue une langue pour les paupières
et on entend les sons fantastiques  
qui couraient incognito dans la ville
Je propose je nous propose
ce qui peut nous relier
au-delà de nos langues
de nos bibliothèques coupées en deux
de nos forces économiques
de nos dépressions psychiques
Je propose la journée sans barrières linguistiques
Si on veut dans celle-là, on parle avec les mains
Et puis et puis la journée sans papiers
Les contrôleurs de nos identités
peuvent juste aller se rhabiller !
On organise le grand autodafé
de nos vies cartonnées !
Et si tu veux si tu veux,
ce jour-là tu changes de prénom  
et tu t’appelles Abdel Loubna  Alfred Peter Pol Lena  
Marieke Josette Marilou Gabriel Nicole ou Frida
Yacinthe Rose Piment Rénilda Poivre et Tarattatatatatata  
et même Bruno Simon Lola ou Le chat
Je dis aussi qu’il y a la journée sans ordi  
sans pc sans mémoire artificielle
Nous partons tous à la mer, de préférence à pied  
nous marchons de Lasne près de Bruxelles  
jusqu’au Coq du plat pays
Nos regards assoiffés se jettent dans l’horizon
Au retour nous marchons du Coq à Lasne en riant  
et nous sautons allégrement d’un vocable à un autre  
goeindag bonjour ik ben heureux je suis geluk
Et une journée sans gordel autour de Bruxelles  
Un seul gordel immense de Bruges à Arlon
et de Liège-Luik à Mons-Bergen    
et les cyclistes parlent un nouveau pidgin qui mêle toutes nos langues
Une journée sans comon, une journée sans fédéralisme,  
une journée sans avion  
ni sur Bruxelles ni sur la Flandres  
et puis après, l’aéroport de Zaventem  
posé sur une plaque à roulettes,  
on le pousse à bras le corps  
pour qu’il lance ses moteurs  
de Tremelo de Tourines  
de Rotselaar  de Custinne
de Resteigne ou de Zottegem  
Et puis aussi la journée sans clefs zonder sleutels
et toutes les portes sont ouvertes
battements d’ailes sur les trottoirs de Brussel
Et la journée sans toit
On tend des grandes toiles  
En-dessous, on sirote le thé
et les sans-abris et les munis de maisons
se confondent s’asseyent papotent
babellers sur les voetpadden  
Et je dis je dis aussi
qu’y a la journée sans-façon et sans cérémonie
de dag zonder partij sans-parti pris
et la journée sans faim la journée zonder einde
la journée sans fumée la journée sans pépin
la journée zonder familie en de dag zonder électrique
les étoiles scintillent dans la nuit
elles sont nos lumières ultra-publiques
Et la journée zonder schoenen
Celle-là ah celle là
elle est terrible cette journée-là
Tous les pieds délivrés galopent sur les pavés
une horde de va-nu-pieds déferle sur Bruxelles
En de dag sans drapeau sans coq et sans lion  
une pluie d’iris tombe sur la Belgique
La journée sans frontière la journée sans-souci  
La journée sans arrière-pensées la journée sans-le-sou  
on donne on échange on troque nos brols    
La journée sans vitesse et toutes nos guibolles  
au rythme des boiteux des enfants des tortues
La journée zonder la journée sans sans sans sans sans  
Et c’est beau c’est beau vraiment
tous ces jours qui se lèvent quand se finit la nuit
Et celui-ci, juste maintenant  
avec ma langue qui pourrait égrener  
des journées zonder jusqu’à la nuit
Et si un tremblement sismique
au milieu du pays
venait tout bouleverser ?
Ça précipiterait sans doute  
le débat linguistique
Je ne sais trop où s’ouvrirait la terre
je tomberais en bas au creux de l’univers
sans envie de choisir.
J’aime tant nos accents
les noms des rues se chantent en multilingues
et mon âme s’abreuve de tous les paysages
Une lettre aux flamands ?
J’ai le cœur à Bruxelles
les pieds en Wallonie
les cheveux en flandronie
Je parle francophone  
et mon sang coule 3/4 flamand
Allez allez allez, je me tais maintenant
Une envie me traverse, celle de faire avec.
Je vous salue, flandriens !
  

© Laurence Vielle

Foto: Judith Dekker

Laurence vielle

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